top of page

Ne pas dénoncer ni verbaliser une infraction : quelles conséquences ?

  • Photo du rédacteur: Grégory Cludts
    Grégory Cludts
  • 10 juin
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 30 juin

Un garde champêtre particulier est-il lui-même en infraction s’il ne dresse pas procès-verbal en présence d’une infraction qui est de sa compétence ? Ou s’il ne dénonce pas des faits délictueux aux D.N.F. ?

 

1.      Le cadre légal

La réponse se trouve dans notre code de procédure pénale nommé « code d’instruction criminelle » du 17 novembre 1808 et qui date donc de l’Empire français. Les principes sont posés dans les articles 29 et 30 qui sont parvenus jusqu’à nous avec de légers changements.


En ce qui concerne notamment les Officier de police judiciaire (OPJ), l’article 29, § 1er, porte :


« Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public et, pour le secteur des prestations familiales, toute institution coopérante au sens de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer "la charte" de l'assuré social qui, dans l'exercice de ses fonctions acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu de donner avis sur-le-champ au procureur du Roi près le tribunal dans le ressort duquel ce crime ou ce délit aura été commis ou dans lequel l'inculpé pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs[1]. »


En ce qui concerne la généralité des citoyens, l’article 30 est ainsi conçu :


« Toute personne qui aura été témoin d'un attentat, soit contre la sûreté publique, soit contre la vie ou la propriété d'un individu, sera pareillement tenue d'en donner avis au procureur du Roi soit du lieu du crime ou délit, soit du lieu où l'inculpé pourra être trouvé. »


Certes, l’on constate que ces textes de nature pénale créent une obligation : « sera tenu(e) ». Toutefois, il a toujours été considéré que cette obligation de dénonciation – disons le mot – n’est assortie d’aucune sanction pénale, mais constitue une règle de procédure fondée sur une « obligation naturelle[2] ». Les rédacteurs de ces deux dispositions se souvenaient des horreurs de la Révolution et de ses dérives (d’où sans doute le choix du terme euphémistique d’« avis » en lieu et place de « dénonciation »). Dans un Etat de droit, ce n’est pas un procès-verbal ni les poursuites du Ministère public qui permettent de décider qu’un fait est une infraction et que ce fait est à charge de telle personne, mais un jugement définitif rendu par des magistrats indépendants et impartiaux. On comprend donc que le législateur a jugé hasardeux d’incriminer pénalement une non-dénonciation d’un fait qui ne peut être que réputé infractionnel à charge d’un suspect : c’eût été en quelque sorte « mettre la charrue avant les bœufs »[3].


Cette interprétation des articles 29 et 30 n’a jamais changé et nous semble à la fois honorer la confiance qu’un Etat de droit doit avoir dans ses citoyens mais aussi sauvegarder un minimum de paix publique[4].

 

2.      Des sanctions indirectes bien réelles


Toutefois, si elle ne peut être sanctionnée pénalement en tant que telle, l’obligation contenue dans cet article 29 n’est pas dénuée d’effet. L’on doit ainsi évoquer les aspects suivants[5] :


  • la crédibilité d’un OPJ vis-à-vis de son autorité hiérarchique, le Procureur du Roi, pourrait en être affectée si tant est que le Procureur du roi ait connaissance de la prétendue non dénonciation et qu’il l’estime problématique ;


  • le non respect de l’article 29 peut donner lieu à une enquête pour suspicion de corruption active ou de corruption passive[6]-[7] ;


  • en ce qui concerne uniquement les infractions du Code rural, celui-ci prévoit que « Les gardes champêtres particuliers (…) sont responsables de toute négligence ou contravention dans l'exercice de leurs fonctions. Ils pourront être rendus passibles du payement des indemnités résultant des infractions qu'ils n'auront pas dûment constatées[8] ». Il est toutefois permis de s’interroger sur l’effectivité actuel de cette disposition.

 

3.      Et la sanction d’éviction du garde contenue dans un cahier des charges ?


Ce qui précède concerne le cadre pénal général. Il faut aussi envisager le cas d’obligations contractuelles. En effet, les cahiers des charges de location du droit de chasse peuvent prévoir que :


« Le locataire ne peut désigner une personne comme garde champêtre particulier pour la surveillance de la chasse dans le lot qu’avec l’accord préalable et écrit du directeur.

Le directeur peut exiger du locataire l’éviction dudit garde champêtre particulier, si celui-ci :

(…) b) commet ou ne constate pas sciemment une infraction en matière de chasse ;

(…) d) ne dénonce pas sur le champ au Procureur du Roi tout crime ou délit dont il est témoin sur le lot. »


Ce type de disposition nous paraît un recul de l’Etat de droit si elle est interprétée comme permettant l’éviction du garde champêtre particulier en l’absence des garanties évoquées plus haut.


Ce ne peut être un Directeur du D.N.F. ou un autre OPJ dressant procès-verbal qui permettent de décider qu’un fait s’avère être une infraction à charge de la personne visée. Il en irait de même d’un aveu de la part du garde champêtre particulier sur une non constatation ou une non dénonciation puisqu’il ne lui appartient pas de juger que ce fait est une infraction. Seul un jugement, condamnant le délinquant pour le fait non constaté par le garde mais par un autre OPJ, pourra permettre de faire une application exacte des points b) et d) précités.

 

Grégory Cludts


[1] Pour être complet, ajoutons que la dénonciation d’une infraction peut aussi se faire à d’autres officiers de police judiciaires (article 53 du même Code) ou au Procureur du Roi compétent pour la résidence du suspect (article 23).

[2] M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2012, p. 286.

[3] Voir notamment l’intervention de Paul Mathieu, Président de section honoraire à la Cour de Cassation, en pages 2 à 6 de la publication disponible sur https://www.transparencybelgium.be/images/slides/Policy_Paper_N_4_FR.pdf 

[4] Pour citer un éminent auteur : « l’on sait que l’obligation formulée dans ledit article 29 n’est assortie d’aucune sanction, en sorte qu’il demeure le plus souvent lettre morte, la conscience individuelle étant rebutée par l’idée même de délation. Cette absence de sanction n’est pas une lacune involontaire, ainsi qu’il ressort des discussions du projet de Code d’instruction criminelle de 1808, devant le Conseil d’Etat [français]. L’obligation ainsi créée a un caractère purement moral » (Obs. de P. LAMBERT sous Cass. 29 mai 1986, J.T. 1986, p. 333).

[5] En ce qui concerne d’autres OPJ que les gardes champêtres (agents du D.N.F. et de l’U.A.B.), le non-respect de l’article 29 peut aussi donner lieu à des sanctions disciplinaires.

[6] Article 247 du Code pénal, § 1er (corruption passive) et § 2 (corruption active).

[7] Cass., 9 décembre 1997, F.J.F., 1998/1, p. 5. Il y a corruption passive lorsqu’un accord porte « sur l’acceptation d’une offre, d’une promesse ou l’acceptation d’un don ou d’un cadeau, afin d’effectuer dans l’exercice de sa fonction un acte illégitime ou de s'abstenir d'un acte qui s'impose par sa fonction ». Cet accord doit être conclu « avant que l'acte illégitime soit posé ou avant le moment où devait intervenir l'acte dont on s'abstient ».

[8] Article 76, du « Chapitre III De la recherche des délits et des contraventions ». Ce qui s’entend des délits et contraventions du Code rural. Ce Code n’a pas vocation à constituer une sorte de Code de procédure pénale générale. Lorsque le Code rural vise les infractions au-delà de celle prévues par lui, il l’indique (comme à l’article 67 où sont visés « les délits de chasse et pêche »). Relevons que la constatation des infractions en matière environnementale (chasse, pêche, code forestier notamment) par les gardes champêtres particuliers est encadrée par les articles D.138 et suivants du Livre Ier du Code de l’environnement.

Comments


bottom of page